ÉTÉS

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POURQUOI RELIRE LA PESTE

Article paru dans « La République des Pyrénées » le quotidien régional le lundi 27 avril dernier/ Article pareishut dens  » La République des Pyrénées », lo diari regionau lo diluns 27 d’abriu passat.

© Sèrgi Javaloyès

© La République des Pyrénées

L’autre jour, alors que je lui téléphonais, confinement oblige, ma mère m’a raconté comment elle avait veillé, quelques années après 1945, un de ses cousins mort de la peste. Il revenait, avec d’autres marins de la marine marchande oranaise, d’un long périple. « En Chine ! » a-t-elle précisé avec humour dont elle ne se départit jamais. D’autres en moururent. Elle m’a dit que nulle protection n’avait été mise en place par les autorités préfectorales et portuaires. Ainsi avait-elle côtoyé le bacille Yersinia pestis, sans être contaminée. Soixante-quinze ans après, elle en garde un souvenir vivace ; elle en fait une anecdote tragicomique, comme à son habitude.

Elle m’a demandé pourquoi Camus avait choisi Oran pour écrire son roman, notre ville natale… Il n’aimait pas cette cité. Il en fait du reste une triste description dans « L’Été » (1). Ce désamour n’explique en rien ce choix. Peut-être connaissait-il l’épidémie de choléra qui frappa l’Oranie en septembre 1834, comme il l’avait fait précédemment à Marseille ? L’histoire conte qu’elle arriva au port, transportée par des immigrants venus de Carthagène et d’Alicante. Elle se propagea à une vitesse folle à toute la ville.

Ce roman, dont les ventes ont explosé ces derniers temps, reste moins célèbre que « L’Étranger » qui reste l’œuvre la plus vendue dans le monde. Il n’a pourtant pas pris une ride, tant la trame narrative nous parle, tant les personnages, le docteur Rieux, le père Paneloux, Tarrou, Cottart, Rambert, sont des héros véritables. Cette épidémie, que combattent ces hommes dissemblables que l’adversité réunis, suggère que le mal universel dont Hannah Arendt a décrit la banalité, n’est pas près de disparaître. D’ailleurs, la fin du roman appelle à la vigilance lorsque la peste est enfin éradiquée. Ce roman nous dit ce que nous vivons aujourd’hui. Il nous y renvoie : « Même lorsque le docteur Rieux eut reconnu devant son ami qu’une poignée de malades dispersés venaient, sans avertissements, de mourir de la peste, le danger demeurait irréel pour lui. »

Au fond, Camus, nous donne à voir des exemples à suivre. D’humbles républicains qui savent, quoi qu’il leur en coûte, ce qu’ils ont à faire face à la peste. Dans une lettre (3) à Roland Barthes, le prix Nobel lui dit : « La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. […] Comparée à L’Étranger, La Peste marque, sans discussion possible, le passage d’une attitude de révolte solitaire à la reconnaissance d’une communauté dont il faut partager les luttes. […] Le thème de la séparation, dont vous dites très bien l’importance dans le livre, est à ce sujet très éclairant.  Rambert, qui incarne ce thème, renonce à sa vie privée pour rejoindre le combat collectif. » Il ne se passe pas un jour où on ne nous annonce pas le nombre de victimes du Covid-19. Nombreux sont les soignants qui ont quitté leur famille pour aller porter main forte à leurs collègues, parfois fort loin de leur domicile.

Albert Camus, La Peste, Folio, Gallimard.

  1. « Noces suivi de L’Été », Folio, Gallimard.
  2. « La Peste », Folio, Gallimard
  3. Du 11 janvier 1955, La Pléiade, t.2, p. 285 – 286.