À la Une

UN NOUVEAU ROMAN : L’HOMME EST UN OURS QUI A MAL TOURNÉ

Mon nouveau roman, L’Homme est un ours qui a mal tourné, paraîtra le 22 octobre prochain aux éditions In8.

Je le présenterai le 3 novembre prochain à 18 h au Parvis (Espace Culturel Leclerc de Pau) aidé par mon vieil ami, Thomas Longué.

Présentation

Désormais à la retraite anticipée, Jan revient au pays dans sa ville natale, dans les Pyrénées, où un climat de peur s’est installé depuis la disparition de Laura Etxemendy. Il y retrouve Artur — dit l’Ours — son ami de toujours qui traverse une grave dépression, et Céline, son amour de jeunesse qu’il avait totalement perdue de vue. Pour Jan, c’est l’heure du bilan. Les souvenirs remontent à la surface : le traumatisme du service militaire, sa carrière de cadre à travers l’Europe, les femmes qui l’ont toutes quitté… Le narrateur nous plonge tantôt dans les années 80 de l’autre siècle, tantôt dans une actualité qui porte encore les stigmates d’une jeunesse vécue à pleines dents.

ORAGES

Chronique parue hier, samedi 3 juin 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées.

Cronica parescuda ger, dissabte 3 de junh 2023, en la pagina Débats deu Diari La République des Pyrénées.

Mardi dernier, en fin d’après-midi, un bel orage rôdait à l’Ouest. Certes, la météo l’avait annoncé mais j’espérais qu’il aurait la bonne idée de dévier sa course. La nuit est venue rapidement comme une colonne armée voulant en découdre. J’entendais clairement les tambours de sa soldatesque de pluie et de « peirada » (1). Elle a attaqué soudain, le pays était désarmé. Les éclairs ont déchiré le grand théâtre du ciel, et un déluge a noyé le paysage. Un vent fou a frappé sans ménagement arbres, fleurs et potager. Le chien a aboyé, pleuré, s’est réfugié à l’abri. Quelques instants avant, les noirs cumulonimbus de l’orage se dressaient haut dans l’espace. Les merles chantaient encore leur amour du crépuscule. Peut-être, me suis-je dit, ces moments de calme incertain sont-ils la métaphore de nos existences toujours en attente du meilleur ou du pire ? Qui sont les orages qui s’agitent au profond de nous ? Je ne saurais le dire. Il m’arrive de les entendre marmonner leur colère. Ils ne sont pas explicites, leur langue n’est pas la mienne, loin de là. J’ai beau dresser l’oreille, je ne les comprends pas. À peine, si je discerne quelques mots déjà entendus lorsqu’ils grondaient fort sur mon océan déchaîné. Ce que Freud et bien d’autres nomment l’inconscient. Que voulaient-ils me dire ? Peut-être m’avertissaient-ils de quelque submersion ? Allez savoir ? Puis sont venus le beau temps au ciel sans rides. Fallait-il y croire ? J’ai laissé faire en me disant qu’un orage est vite passé. La pluie diluvienne est tombée toute la nuit. Les rêves ne m’en ont rien dit. Il fallait se lever et attendre que le déluge s’épuise enfin. Mercredi soir, il est revenu, avec ses éclairs et sa foudre. Qui s’en plaindrait ? Pas moi, en tout cas. La vallée est vert émeraude et veut le rester.

1. Grêle.

Abans l’auratge… Avant l’orage…

L’ESPOIR FAIT VIVRE

Chronique parue hier, samedi 27 mai 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées.

Cronica parescuda ger, dissabte 27 de mai 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Jeudi, la nuit échappée, l’aurore était grise. Il pleuvait. Une pluie douce, une bonté du ciel. J’entendais respirer l’herbe haute et ses fleurs sauvages. Nous ne les avions pas fauchées. La tondeuse attendrait quelques jours encore. Les arbres murmuraient la fraîche prière de l’aube. Ils frissonnaient d’aise à la brise de l’aube. Deux « palomas » (1) dodues se sont posées, sautillant, joyeuses. Elles sont reparties derechef pour un autre lieu apaisé où elles trouveraient leur Eden. Les merles s’en donnaient à cœur joie. Ce silence habité me parlait des heures à venir. À chaque jour suffit sa peine et sans doute son bonheur. Le réveil a fait son office. Il était temps de se lever. Pourtant, je traînais. J’attendais un signal. Rien n’est plus vrai que ce fragile instant où l’heure se cherche et ne se trouve pas. La lecture nocturne de « Le météorologue » (2) bredouillait encore ses mots durs, ses mots qui font mal et qui, cependant, vous tiennent éveillé. Je pensais en prenant le café que la chronique à venir était loin d’être écrite. Les enfants partis, les tâches ménagères s’impatientaient. Sur le coup de neuf heures, on m’a appris une bien mauvaise nouvelle, un très vieil ami, Eric Gonzalés, le bel écrivain, nous avait quittés pour ce pays dont nul ne revient. L’annonce était brutale moi qui attendait, comme chaque jour, son appel. Comme je l’ai déjà écrit — je sais, je me répète… — désormais, l’espoir fait vraiment vivre. Le ciel lentement s’est déchiré laissant une claire lumière embraser le paysage. Là-bas, la haute colline de l’« Angladura » se défaisait de ses habits de brume. Soudain, comme un écho, ont résonné les chansons chantées par les enfants de la Calandreta Paulina, des sections bilingues des écoles de « Bòrdas », « Sauvanhon » et Stalinas Lavigne à Pau, lors du merveilleux conte musical « Lo Calhau qui flòta » (3), la veille, au théâtre Saint-Louis. Je me suis alors souvenu de la phrase de Camus : « Le monde est beau, et hors de lui point de salut. »

1. Palombes 

2. Olivier Rolin, Points, 6,90 €

3. De Sèrgi Mauhorat, Nathalie Biarnés, de l’OPPB et Canopé /Capòc

Eric Gonzales, dètz ans a, davant la hont de la Plaça de la Liberacion a Pau.

Eric Gonzalés, il y a dix ans, devant la fontaine de la Place de la Libération à Pau.

UNE RÉACTION

Chronique parue le samedi 20 mai 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées.

Cronica parescuda lo dissabte 20 de mai 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Vous verrez, nous serons bientôt bien plus intelligents que nous le sommes aujourd’hui. Enfin, on ne cesse de nous en rebattre les oreilles depuis plusieurs semaines. L’intelligence artificielle nous promet, en effet, monts et merveilles. D’ailleurs nous sommes fascinés par cette promesse. Que dis-je ? Nous sommes pris de vertiges quant à ses incroyables performances. Pourtant, cette nouvelle avancée technologique — elle enthousiasme déjà quelques élites autoproclamées — est un pas de plus vers la déshumanisation de notre monde. Une manœuvre sournoise, néanmoins terriblement efficace : la beauté du Diable, en quelque sorte ! Tout avait commencé avec les réseaux sociaux. Ils sont, à mon humble avis, une malédiction universelle dont nous sommes hélas les victimes trop souvent complaisantes. Cette technologie a même la capacité de composer toutes sortes de musiques même les plus sophistiquées. D’écrire nouvelles, romans, chroniques, essais… Un exemple m’a frappé dernièrement : « Irish Times, un quotidien irlandais a été piégé par un faux article écrit par l’intelligence artificielle » écrit « Le Monde » du 16 mai dernier. J’y vois, une fois encore, la très probable exclusion des innombrables personnes qui n’y auront pas accès ou qui ne sauront pas l’utiliser. Il y a plus grave encore. L’intelligence artificielle, puisque c’est ainsi qu’on la dénomme à tort, va remplacer dans un élan fallacieux de générosité, l’humanité créatrice, fantasque, subversive qui nous est chère. Une humanité hésitante, tâtonnante, maladroite, complexe dont l’intelligence réitérée, à travers les siècles, a produit ce qu’il y a meilleur, depuis la nuit des temps. Demain ou après-demain, cette intelligence numérique sera, quoi que nous voulions et fassions, incontournable et in fine obligatoire. La facilité, la rapidité d’exécution, la masse prodigieuse de données dont elle dispose, auront beau fait d’annihiler toutes nos oppositions même les plus tenaces. Nous deviendrons peut-être, tôt ou tard, les idiots utiles de ce mensonge viral qui se propage à la vitesse d’un clic sur nos ordinateurs, smartphones et autres écrans disponibles. 

L’APPEL DU NOIR

Chronique parue et modifiée dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées le samedi 13 mai 2023.

Cronica parescuda en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées lo dissabte 13 de mai 2023.

Vendredi 12 mai à 15 h, je n’avais toujours pas écrit une seule ligne de cette satanée chronique. J’étais sec comme un whisky qu’on vous offre et qu’on n’ose pas refuser. À 16 h, rien ne me venait. Certes, me disais-je, ce n’était pas la première fois que j’étais confronté à une panne mais le temps filait et je craignais de ne pouvoir rien envoyer à 18 h au plus tard à la rédaction de La République des Pyrénées. Je ne sais pourquoi, apercevant sur ma table de travail le dernier ouvrage que je venais d’achever, j’ai conçu qu’il pouvait être une éventuelle ma roue de secours. Je regardais le jardin trempé par une pluie diluvienne et le moral était au plus bas. J’ai repensé à Pampa, le personnage central du roman qui lui avait dû faire sous la neige aux confins de l’Argentine. Sans doute la Patagonie. Pourquoi pas ? Le récit noir, fiévreux, un vraie misère de région, ne le disait pas et j’avais donc le droit de l’imaginer près d’Ushuaïa. J’ai donc cédé à l’appel du noir, de Pampa Aisiain qui un soir d’hiver découvre le corps d’une jeune fille pendue à une branche d’un eucalyptus. Il y a quelques semaines, dans une librairie paloise, j’ai aperçu « a man » (1), un livre d’un « bleu céleste ». Un bleu étrange. Un bleu inquiétant. Un bleu qui ne dit rien qui vaille. Je l’ai pris, pourtant. Je l’ai examiné, en ai lu l’incipit et l’ai finalement acheté. « Je suis l’hiver », son titre (2). Ricardo Romero, son auteur, est argentin. Pampa, un jeune et frêle policier, a été muté dans un village au fin fond de ce « no man’s land ». Je ne l’ai pas lâché. Un main froide dans le dos, une nuit sans aube. Une sale peur. Un roman qui, j’en suis sûr, vous hantera longtemps comme il me hante encore.

1. À portée de main.

2. éd. Asphalte/poche, 2023, p. 236, 11 €

VERT

Chronique parue ce jour, samedi 6 mai 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées

Cronica parescuda uei, dissabte 6 de mai 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Mai est vert. Superbement vert. Sous tous les tons, du vert gazon au vert jade, menthe en passant délicatement au vert amande voire émeraude. Les pluies généreuses ont effectué leur travail. On ne se lasse pas de regarder ses nuances lorsqu’on veut bien les considérer attentivement. Je les observe, m’étonne et goûte leur générosité. Parfois, je me sens bien seul en m’interrogeant sur mon vieux penchant pour la nature printanière qui murmure le conte éternel de la « renavida » (1). Peut-être suis-je de ceux qui ont au cœur le souvenir tenace des paysages de l’enfance pas encore dégradés ? Naguère, je passais des heures entières à me hasarder par les prairies ; à contempler courir l’eau claire des ruisseaux qui les traversaient. Les truites, goujons et « pesquits » (2) n’étaient pas encore menacés par les phosphates, nitrates et autres joyeusetés d’une agriculture productiviste — le « complexe agro-industriel » diront certains ; il est loin d’être celui qui gouverne tout en Bretagne — utilisés depuis la fin des années soixante du vieux siècle. Loin de moi de stigmatiser les agriculteurs dont je connais les difficultés, les dépendances, la solitude. Dans la « Vathvielha » (3), ils sont peu nombreux. Les terres agricoles y sont peu à peu dévorées par un urbanisme nerveux et empressé. Oui, il faut savoir se poser et regarder notre environnement proche. Il a certes été transformé, souvent bousculé, par la main de l’homme. N’importe, il faut bien vivre ici et maintenant, et espérer que nos compatriotes des villes et campagnes s’avisent de l’éclat de son royaume fragile. Mai est vert. Toujours vert. Comme un mirage matinal lorsque le ciel bleu azuré s’éclaircit et accueille les bras ouverts le soleil généreux d’un printemps déjà trop chaud. Vert comme la tiédeur d’un soir quand la brise berce les herbes folles et les arbres qui sommeillent déjà. Vert comme la vie, elle aussi menacée, qui nous est chère. 

1. Renaissance.

2. Vairons.

3. La Vieille vallée ; on l’appelle aussi « la plaine de Nay ».

Ne t’inquiète pas, ça va aller…

Chronique parue le samedi 29 avril 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées

Cronica parescuda lo dissabte 29 d’abris 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées

Hier matin, l’annonce fébrile d’une journée estivale se faisait sentir. La nuit avait été chaude. De bonne heure, alors que les « rebalais » (1) des merles habitaient mon réveil, Pierre, un vieil ami, m’a téléphoné pour m’avertir d’un nouveau décès. Le cancer avait emporté une âme pure qui nous était chère. Pierre m’a confié, alors, que la dépression l’avait repris. « Je chavire ! » m’a-t-il dit d’une voix éraillée que je ne lui connaissais pas. Il se voyait séquestré par sa « vieille et détestable compagne » — c’est ainsi qu’il la nomme. Il l’a maintes fois quittée. Elle revient, entêtée, dans le seul but de le jeter dans sa geôle dont il ne connaît toujours pas les contours et dont il cherche encore la sortie. J’ai lu à ce propos « La dépression est une maladie, pas un choix », l’excellent article de « The Conversation » (2). Il m’a plus qu’appris, il m’a ouvert les yeux. J’ai été intéressé par la partie consacrée à ce qu’il ne faut pas faire face à un dépressif : « Donner des injonctions (le fameux « secoue-toi », ou, « moi, quand ça ne va pas, je prends un bain chaud et ça va mieux ! »). Les patients déprimés ont en général essayé plein de choses pour aller mieux et sont déjà bien assez culpabilisés. Banaliser la dépression […] n’a jamais aidé personne. » Jean-Victor Blanc (3), l’auteur de l’article, souligne combien notre société toujours pressée, stressée, en manque de reconnaissance ou d’amour, avide de réussite rapide, vénale et cynique, j’en passe, engendre de plus en plus de personnes mélancoliques. Pierre a continué à me conter ses jours gris et ces nuits sans sommeil. Il n’est qu’échecs et défaites. Il ne s’aime pas. J’aurais pu lui souffler : « Ne t’inquiète pas, ça va aller… »  Mais je ne l’ai pas fait. Il m’a rappelé le soir même pour me dire qu’il avait été soulagé de vider son sac et qu’il avait pris rendez-vous avec son psychiatre. Que pouvais-je faire, si ce n’est le féliciter ?

1. Trilles.

2. https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-depression-est-une-maladie-pas-un-choix

3. « Pop & psy : comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques, éd. Plon.

HÉROS GASCONS

CHRONIQUE PARUE LE SAMEDI 8 AVRIL 2023 DANS LA PAGE « DEBATS » DU QUOTIDIEN LA RÉPUBLIQUE DES PYRÉNÉES — CRONICA PARESCUDA LO DISSABTE 8 D’ABRIU 2023 EN LA PAGINA « DEBATS » DEU DIARI LA RÉPUBLIQUE DES PYRÉNÉES.

La énième version cinématographique de « Les Trois mousquetaires », le célèbre roman (1) d’Alexandre Dumas père, vient de sortir et une belle campagne de communication s’emploie à la faire connaître au plus grand nombre. Nos quatre gascons, dont trois béarnais, y ont encore perdu leur accent. Dumas, dans son ouvrage, n’y fait guère allusion préférant souligner leur appartenance à la lointaine province dont ils sont issus. Ils sont provinciaux et donc incapables de comprendre les codes et « habitus » en vigueur à la capitale du royaume. Il recrée peut-être l’ethnotype du gascon hâbleur, roublard, etc. L’intelligentsia parisienne, mais aussi « régionale » par mimétisme sans doute, a décrété depuis fort longtemps, qu’« il n’est de bon bec que de Paris » (2). Les héros gascons de la littérature romantique française sont des adolescents mal dégrossis, — à la fin de sa vie, Alexandre Dumas le dit à son fils (3) — égarés dans un monde d’adultes détenteurs du vrai pouvoir, en l’occurrence celui du cardinal Richelieu ou du roi, Louis XIII. Nos quatre héros sont courageux, téméraires, intrépides, parfois. Ces fins bretteurs mettent en échec, par leur bravoure, les manigances du cardinal. Leur absence au monde de la politique, face aux noirs desseins du cardinal, permet depuis des centaines d’années de faire de « tout un chacun » un valeureux « mousquetaire ». En revanche, « La Reine Margot » — roman républicain, s’il en est ! — est une exception dans l’œuvre prolifique de Dumas. Henri III de Navarre, prisonnier du Louvre de Catherine de Médicis, est un homme conscient de sa destinée royale et le prouve, in fine. Le film éponyme qu’a réalisé Patrick Chéreau en sublime la vérité et la force.

Allez, si vous voulez voir un film drôle, déjanté où on parle occitan, français, croate, avec l’accent, regardez vite « La Seria » sur https://www.france.tv/series-et-fictions/la-seria/.

1. Pocket, texte intégral, 1993.

2. « Balade des femmes de Paris », François Villon.

3. Préface et commentaires de Jacques Gomard, Pocket, texte intégral, 1993.

Dimenge de Pascas a Eth Saut e Bòrça en Vath d’Aspa dab Paul Mirat, au parat deu hestau « Poésiques » organizat per Johann Villanua, la soa mair Colette e tots los sons amics

Dimanche de Pâques à Etsaut et Borce à Etsaut et Borce en Vallée d’Aspe avec Paul Mirat, à l’occasion du festival « Poésiques », organisé par Johann Villanua, sa mère Colette et tous ses amis.

SOURCES

Chronique parue samedi 1er avril 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées // Cronica parescuda lo dissabte 1èr d’abriu 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Naguère, je ne sais plus maintenant, lorsque je pêchais encore, j’empruntais la départementale 335 d’Asson à Capbís. Je rejoignais ainsi les rives du Béez (1) et celles de la Toupiéte un de ses affluents, tous deux nourris par des sources jaillissantes, au pied du « Som de Las Taulas » (2). Au printemps, après les fortes pluies d’avril et parfois de mai, elles offraient au pêcheur-rêveur un spectacle fascinant. Elles bouillonnaient d’une eau claire et froide qui me semblait alors inépuisable. Quand midi s’approchait, je poussais un peu plus loin, jusqu’à l’« Uelh deu Béez » (3) : une source miraculeuse coulant fièrement d’une anfractuosité du flysch couvert, coiffée d’un chêne centenaire où des ex-voto étaient accrochés. Je m’y posais et laissais mon esprit dériver où je ne pouvais l’accompagner. Le temps y faisait une pause. 

L’été dernier, j’y suis revenu tel un pèlerin recherchant son ancien lieu de prière. Et que n’ai-je constaté ! Les sources étaient taries. La Toupiéte n’était plus qu’un pauvre filet d’eau. Le Béez était lui aussi en piteux état. Il n’avait pas plu depuis plusieurs mois. Où étaient passées les truites sauvages que j’attrapais naguère ? Mortes ? Enfuies ? Qui aurait pu me le dire ? Une vraie tristesse. Une fois encore, je faisais l’amer constat que le monde préservé que j’avais connu naguère avait réellement disparu. Hier matin, réveillé par un « estranh saunei » (4), je me suis levé. J’avais soif. Une chaleur anormale enveloppait l’aube dans ses mains moites. Un vent chaud secouait l’oranger et l’arbousier. Une vieille lecture m’est venue alors : « C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l’eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. » (5) 

1. Le Béez naît sur les pentes du col de la Portère (1 494 m) entre le Merdançon (1 540 m) et le Durban (1 700 m). 

2. Soum de Lastaules.

3. L’œil du Béez.

4. Étrange rêve.5. Gaston Bachelard, « L’eau et les rêves », Le livre de poche, 1993

Ua hont esconuda e desdeishada au bòsc d’Arròs de Nai // Une source cachée et abandonnée au bois d’Arros de Nay.

RESSENTIMENT

Chronique parue hier, samedi 25 mars 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées // Cronica parescuda ger, dissabte 25 de mars 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Je l’ai déjà écrit. L’acte autoritaire et solitaire de notre jeune président ne pouvait que remobiliser les opposants résolus à cette réforme des retraites. Les nombreuses manifestations de jeudi dernier en étaient l’expression. Comme à l’accoutumée, la violence préméditée des « black-blocs » et autres casseurs a vite occupé le devant de la scène médiatique. Cette loi modificatrice du budget de la sécurité sociale résonne désormais comme une triste litanie réformatrice. Ceci, depuis l’échec du projet de loi d’Alain Juppé en 1995. Elle reste néanmoins injuste. Pourquoi, en effet, faire reposer sur les seuls salariés la charge financière de cette loi ? On envoie ainsi un message aux « Marchés financiers », ces Dieux d’un ciel implacable que l’économie mondialisée et financiarisée a créé. Comment va finir ce bras de fer ? Mon pessimisme m’encourage à penser que les plus modestes, les femmes et les précaires en paieront in fine le prix fort et qu’ils seront une fois encore blessés, exilés. On imagine peut-être que la caravane passera et que les chiens finiront par ne plus aboyer. Ainsi naît, au secret de son âme, le ressentiment d’un peuple. Il grandit à bas bruit. Une funeste « tumor qui cura » (1) notre démocratie fragile. Le score de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2022 suivi de sa stupéfiante traduction parlementaire devraient pourtant alerter notre président ainsi que son opposition démocratique. Hélas, l’alerte ne semble pas avoir été entendue. Assurément, les femmes et les hommes du ressentiment existent. Leur nombre ne cesse de croître depuis des décennies. L’abstention massive en est la langue vengeresse. « Pour qu’il y ait vengeance il faut à la fois un « temps plus ou moins long » pendant lequel la tendance à riposter immédiatement et les mouvements de colère et de haine (…) soient retenus et suspendus ; d’autre part, que l’acte même de la riposte soit reporté à un moment et une occasion propices. Et que ce qui retient la riposte immédiate soit la prévision d’une issue défavorable sous-tendue par un sentiment d’« incapacité », d’« impuissance ». (2)

1. Tumeur qui ronge.

2. Max Scheler, « L’homme du ressentiment », Idées, Nrf, 1970.

LE CIEL ET LES ÉTOILES

Chronique parue hier samedi 11 mars 2023 dans la page Débats du quotidien La République des Pyrénées /// Cronica parescuda ger dissabte 11 de mars 2023 en la pagina Débats deu diari La République des Pyrénées.

Au nord-ouest, une sombre menace. Le ciel était clair encore et le soir arrivait, balayé par un vent d’Espagne irrité. Des éclairs ont perforé, là-bas, l’obscure masse nuageuse. L’orage devait probablement malmener Pau et ses environs. Soudain, les rafales ont été plus violentes, secouant haies, arbrisseaux et arbres. Les oiseaux avaient déserté l’espace. Le noir présage avançait. L’orage a été rapidement sur nous. « Lo tron » (1) nous l’a signifié. Les bourrasques ont vite noyé le village. Le chien a pleurniché, aboyé. Son lointain compatriote l’imitait avec force aboiements. J’ai compris qu’il craignait cet épisode venteux. Il est coutumier du fait. Je l’ai mis à l’abri, et j’ai vu dans ses yeux combien il était heureux. La pluie tombait drue. Je ne saurais vous dire aujourd’hui la durée de ce phénomène : une giboulée de Mars, sans doute ? La nuit est venue trempée encore par les dernières averses. Le vent s’épuisait. Comme à l’accoutumée, les exigences familiales ont repris leurs droits. Il fallait préparer le repas du soir ; emmener les enfants, ici ou là. Aller et venir, dans le ballet habituel du jeudi soir. La règle, cette seconde nature. À 19 heures 30, le ciel était parme, habité de nuages d’un noir étrange. L’horizon, là-bas, était encore tourmenté. Vers 21 h, lorsque la maisonnée a trouvé non sans mal son silence, j’ai regardé « l’estelada » (2) comme je l’ai toujours fait. Elle était d’une clarté sans nom. L’éternel enchantement. Je suis resté à l’admirer en laissant la divagation mentale me conduire en son pays mystérieux. J’ai pensé à Marcel Amont, « l’amic ». Je me suis dit que parmi ces milliers d’étoiles, il se trouvait maintenant ; qu’il y regardait le monde avec humour et tendresse. L’écho de sa voix sans pareille m’a murmuré combien il a enchanté mon enfance et mon adolescence. Combien sa joie toujours tranchait avec la morosité ambiante. Combien, aussi, il a toujours porté haut sa langue maternelle dans cette France encore et toujours frileuse. 

1. Tonnerre.

2. La voûte étoilée.